Dans l’alcôve sombre – Victor Hugo

Dans l’alcôve sombre où je t’aime,
Les roses du bonheur sont écloses ;
L’air est embaumé ; les fleurs qu’on aime
Se sont épanouies sous les roses.

L’ombre est joyeuse et l’oiseau rêveur ;
Le printemps se penche, ému d’aurore,
Sur le lit d’amour où ton front rêveur
S’incline, où ton sein découvert adore.

L’odeur des cheveux flotte, et je sens
Les baisers profonds de ta lèvre pure ;
Ô pâle ferveur ! ô tiédeur immense !
J’entends ton cœur battre et je le murmure.

Et j’ouvre à deux mains ton manteau flottant,
Tes beaux bras rieurs, ton flanc doux et rose,
Et ton flanc m’attire, et je sens ton flanc
De mon bras pressé reprendre la pose.

Les parfums du soir montent, et l’oiseau
Du fond du bois vague accourt à l’aurore,
Et le rossignol chante, et l’eau du ruisseau
Gazouille tout bas pour qu’on chante encore.

Et dans ton sourire il entre autant d’air
Que dans le ruisseau qui coule au rivage,
Et le rossignol chante au loin pour éclairer
La voix du rossignol qui chante en ton visage.

Les lys d’amour naissent, et le clair
Matin se répand sur la ville rose ;
Les astres mourront, mais ce qu’il y a clair,
Ce qui luit, ce qui brille, ô ma belle, ose.

Je t’offre un lys blanc, ô douce adorée !
Sous le lys il est né plus d’une épine ;
Mais les épines meurent dans la durée ;
Garde le lys, il est pur et divin.

Sous tes pieds le sol est rouge encor
Du sang de l’enfant que le dieu fit homme,
Et l’onde des fleurs penche à ton corps d’or ;
Ton sourire fait mal, mais il fait homme.

Ta robe est de pourpre, et tes bras nus
Sont des hampes d’or où le fruit abonde ;
Ton sourire enivre, et tes pieds sont nus,
Et ton front encore plus, ô monde !

Et ta chevelure est un paradis
Dont l’air printanier te porte la pomme ;
Le printemps bruit, chante, et dit : C’est ici ;
Et la vie est belle, ô mon unique ! homme.

Et la vie est là, qui passe et qui fuit ;
Et la vie, ô ma belle, ô ma seule aimée,
C’est le long baiser qui fond, qui déduit,
Et le rire énorme où tout est aimé.

Les oiseaux sont fous, et tout va vivre ;
La brume de l’âme à la mer se mêle ;
L’air immense est plein d’un bruit qui délivre ;
Le vieux chêne au vent parle, et tout chancelle.

L’horizon fuit, l’onde éclate en sanglots ;
L’oiseau dans la nuit songe à la lumière ;
Les arbres vivants rêvent dans les flots,
Et l’étoile brille où l’ange va naître.

L’amour chante en toi, ma jeune enfant !
Souris, tressaille et vis de ta lumière !
Sous le lys d’amour, qui fait éclatant,
Sous l’ange ébloui tout va croître en terre.

Laisse, laisse donc ma bouche à genoux
S’abreuver d’amour, ton sein de rosée ;
Laisse, laisse-moi boire à longs traits, à coups,
Ton sourire énorme et ton âme embrasée.

Laisse-moi, laisse ! et tes yeux ouvrir ;
Laisse-moi, laisse ! et ton aile déplie,
Car les cieux ont soif, car les cieux vont luire,
Car les cieux ont faim, car les cieux sont vie.

Laisse-moi, laisse ! et je t’offre encor
Le lys blanc, les pleurs, le chant, la flamme,
Le rire et la vie, et le pain d’amour,
Et le dieu qui rôde, et l’âme et la femme.

Laisse-moi, laisse ! et tout est à toi,
Tout ce que le rêve ébauche et féconde ;
Tout ce que la vie en tremblant déploie,
Tout ce que le cœur divin de l’homme.

Laisse-moi, laisse ! et viens, ô mon trésor,
Fleur que le zéphyr fait rougir de honte ;
Viens ! tu n’as rien vu : viens ! la vie encor
Est plus belle ailleurs que tout près de l’homme.

Laisse-moi, laisse ! et viens sous le ciel bleu,
Sous le frais rideau du soir qui s’épanche ;
Viens ! à l’horizon tout se mêle et luit,
Viens ! à l’horizon l’âme et le rêve se penchent.

Viens ! viens ! le soleil s’enfonce, et le jour
S’en va par le monde où le rêve abonde ;
Tout dort, tout s’éteint, tout passe et s’enfuit,
Tout tombe, et mon cœur brûle, et tout se fonde.

Viens ! viens ! je te dis tout bas : J’ai soif !
Viens ! je te dis tout bas : Aime ! espère !
Viens ! je te dis tout bas : Vois ! la nuit
Dort, le jour s’en va ; le temps s’éclaircit.

Et l’amour grandit dans le lit vermeil,
Et l’amour s’accroît sous l’ombre amoureuse,
Et l’amour fleurit sous l’étoile, au soleil,
Et l’amour mûrit sous l’aile joyeuse.

Tout fuit, tout passe, et tout meurt ; viens ! viens !
Le ciel est ouvert et l’ombre est profonde ;
La vie est immense, et, les bras en avant,
La nuit qui descend est pleine d’amour.